Jackie Stewart

18 08 2011

Une démarche nonchalante, une silhouette appareillée de Ray-Ban et de favoris, parfois agrémentée d’un béret ainsi que d’un blouson en cuir, suivi comme son ombre par une ravissante jeune femme aux cheveux dorés. L’image du play-boy Jackie Stewart arpentant le paddock accompagné de sa femme Helen est restée gravée dans l’imaginaire collectif de la F1. Celle d’un homme aussi qui, à contre-courant, initia les premières mesures de sécurité dans la catégorie suprême du sport automobile, et qui lutta jusqu’à  très récemment pour la survie des petits indépendants, avec la création de Stewart GP. Récit probablement inachevé de l’un des monuments de la F1.

Une ascension tumultueuse vers la Formule 1

Rien ne prédestinait Jackie Stewart aux sports mécaniques, et c’est pour ainsi dire par un coup du sort qu’il se tourna vers la course automobile. En effet, durant son adolescence le jeune écossais était plus porté sur le tir à la carabine que toute autre chose. Il joua même les qualifications pour les Jeux Olympiques de Rome en 1960, sans réussite malheureusement.

Las, il s’associa avec son frère aîné Jimmy dans la gestion d’une concession de voitures de sport. Le garage Stewart se construisit au fil du temps une certaine réputation, attirant des clients de plus en plus fortunés et de facto des voitures de plus en plus prestigieuses. Et c’est presque par hasard que Jackie fit ses premiers pas en course automobile.

Jackie Stewart avec son patron et ami Ken Tyrrell.

Effectivement, étant impressionné par le coup de volant de Stewart, l’un des propriétaires d’une Marcos lui fit une proposition en or : courir, gratuitement, pour défendre les couleurs de son équipe. Le sang de Stewart ne fit qu’un tour et celui-ci se lança dans sa première course à Oulton Park en Avril 1961, et enchaina dès lors les championnats de voitures de sport aux commandes de divers bolides, des Ford type E notamment.

C’est à cette période que l’homme des Highlands fit la connaissance de Ken Tyrrell, qui deviendra non seulement son patron, mais par-dessus tout son mentor. Les deux Britanniques travaillèrent main dans la main et progressèrent ensemble dans les formules de promotion. Le savoir-faire et la fine gestion de Tyrrell se mariant à merveille avec le pilotage incomparable de Stewart, les deux compères engrangèrent les succès, avec en point d’orgue le titre F3 en 1963 avec une Cooper BMC.

Puis Jackie rejoignit brièvement Lotus pour la saison 1964 de F2, et après une nouvelle campagne victorieuse, et en dépit d’innombrables appels de Colin Chapman à poursuivre l’aventure en Formule 1 au sein de son écurie, Stewart préféra retrouver son ami Ken dans l’Owen Racing Organisation, plus connue sous le nom de BRM (British Racing Motors), et débuta dans la catégorie reine en 1965.

Débuts prometteurs et premier titre

Là, il se trouva d’emblée en face d’un défi d’envergure : il allait faire équipe avec Graham Hill, champion du monde 1962. S’il est d’usage en F1 de jauger les performances d’un pilote en le comparant à son équipier, force est de constater que Stewart ne fit pas que de la figuration au cours de sa première saison : il termina 3ème du championnat, juste derrière Hill, tout auréolé de la première de ses 27 victoires, au GP d’Italie à Monza.

Stewart au volant d'une Matra.

Malheureusement, les performances des BRM se dégradèrent lors des deux années suivantes, et il décida de se tourner vers l’option Matra, le constructeur français faisant ses débuts en F1 en 1968. Tyrrell de son côté convainc Ford de motoriser les monoplaces bleues horizons, de telle sorte que l’ensemble châssis-moteur-pilote se révéla efficace et que les premiers succès survinrent rapidement. Stewart aurait d’ailleurs pu remporter le titre dès cette année là s’il ne s’était pas cassé le poignet lors d’une course de F2.

Mais l’Écossais fit contre mauvaise fortune bon cœur, s’impliquant de manière plus obsédée pour certains, plus professionnelle pour d’autres, préfigurant le rejet de l’amateurisme qui se précisa durant les années 80, et remporta ainsi de manière magistrale son premier championnat en 1969 à bord d’une docile Matra-Ford. Stewart se fit remarquer par son perfectionnisme, ne laissant rien au hasard, et ayant bien compris l’importance du moindre détail, détail qui à l’époque pouvait coûter non seulement la victoire, mais aussi la vie.

En course, il avait pour habitude d’effectuer des premiers tours d’une cadence frénétique, tirant un meilleur parti des pneumatiques encore froids, et distançait ses concurrents de plusieurs secondes dans l’optique de gérer la course à sa guise par la suite. En outre, tout dans son attitude témoignait d’une volonté de faire de la course non un sport, mais un métier à part entière : Stewart ne buvait pas, ne fumait pas et ne faisait pas la fête les veilles de GP.

Un pilote responsable et concerné

Cevert, équipier de Stewart chez Tyrrell, passe devant le crash resté célèbre entre Jackie Ickx et Jackie Oliver, au GP d'Espagne 70 à Jarama.

Son souci du détail allait jusqu’à confier sa montre à sa femme avant une séance de qualification ou un départ de course afin de gagner quelques grammes qui valoriseraient les performances de son auto. De même, pour ne laisser aucun espoir à ses adversaires, il ne laissait jamais transparaitre ses émotions. Ainsi, personne ne s’aperçut que Jackie était victime d’une mononucléose courant 1971, et encore moins d’un ulcère à l’estomac l’année suivante. La lumière n’a jamais été faite sur cet ulcère, mais on peut supposer que Stewart était préoccupé par les questions de sécurité, après avoir vu son compatriote Jim Clark périr à Hockenheim en 1968 ainsi que son adversaire direct pour le titre Jochen Rindt en 1970, qui demeure l’unique champion de F1 sacré à titre posthume. Au total, une dizaine de pilotes décédèrent entre 1966 et 1970, une des périodes les plus sombres de la Formule 1.

Stewart lui-même fut victime d’un énorme accident à Spa en 1966, sa voiture se retournant dans un fossé après une sortie de piste due à un orage venu perturber le GP. Cet accident fut une révélation : d’une part, il resta coincé de longues minutes dans la carcasse fumante de sa monoplace, la tête en bas et dans l’impossibilité de se dégrafer, alors que le réservoir d’essence fuyait et que le carburant s’écoulait sur tout son corps, laissant craindre la moindre étincelle. D’autre part, cet accident mit aussi en évidence le manque d’infrastructures sur les circuits de l’époque. En effet, aucun commissaire n’était présent à cet endroit du circuit, et c’est Graham Hill qui s’arrêta et vint en aide à son équipier. Les secours mirent aussi d’interminables minutes à parvenir sur les lieux du crash, et l’ambulance qui prit Stewart en charge se perdit sur le chemin de l’hôpital !

De gauche à droite : Stewart, Hill, et Dan Gurney, seront les premiers piliers du GPDA.

L’ensemble de ces approximations sonnèrent comme une prise de conscience pour Stewart de la nécessité de remédier aux carences sécuritaires de cette période. De facto, il prit la direction du GPDA (Grand Prix Drivers’ Association), qui en était encore à ses balbutiements, et de nombreuses mesures visant à renforcer la sûreté des circuits de F1 furent adoptées sous son impulsion. Outre l’instauration de rails de sécurité et de grillages parcourant les tracés ainsi que la mise en place d’antennes médicales, les pilotes furent conviés à adopter le casque intégral et à revêtir des combinaisons et des sous-vêtements ignifugés, tandis que les ingénieurs devaient s’attacher à mettre au point des structures déformables et anti-feu pour leurs futures créations. Stewart détenait même son propre chirurgien attitré qui le suivait sur tous les circuits.

Mais ces décisions n’étaient pas du goût de tout le monde, et Stewart fut la cible de critiques dénonçant son manque de fougue et son soi-disant tempérament craintif. ‘J’aurais été plus populaire si je ne m’étais pas occupé de la sécurité. Je serais peut-être mort aujourd’hui, mais je serais un mort populaire.’ déclara-t-il quelques années plus tard. Qui plus est, l’un des combats de l’Écossais et du professionnalisme qu’il représentait sera le développement de la rémunération des pilotes proportionnelle aux risques encourus par ceux-ci.

Une carrière à son paroxysme au début des années 70

Mais Stewart gagna en crédibilité devant ce flot de critiques au fil des saisons. Il s’avéra être un pilote hors-pair, dans la droite lignée de Clark. Après son titre avec Matra, il continua son aventure avec Ken Tyrrell en 1970, qui tentait de construire son propre châssis avec l’aide de l’aérodynamicien Harvey Postlethwaite.

Stewart entama l’année 1970 au volant d’une March peu compétitive, puis termina enfin la saison avec un châssis Tyrrell « fait maison ». Ce dernier fut grandement amélioré et amena Stewart à décrocher sa deuxième couronne en 1971, avec six victoires et six pole positions  en onze GP, alors qu’il accumulait parallèlement les victoires « de prestige », c’est-à-dire des courses classifiées hors-championnat, telle la Race of Champions en 1969 (qui se courait habituellement à Brands Hatch) ainsi que la BDRC (British Driver Racing Club) Trophy de Silverstone, qu’il remporta en 1965 et 1973 entre autres.

Stewart à bord de la Tyrrell de 1973, qui l'amena à son dernier sacre.

Sa carrière en F1 se conclura quant à elle en 1973, ayant murement réfléchi cette décision tout au long de la saison, et préférant que celle-ci reste confidentielle entre lui et Tyrrell jusqu’au dernier GP, aux États-Unis. Il glana son troisième et dernier titre cette année là dès Monza, et faisait par ailleurs équipe avec le jeune français François Cevert, plein de promesse, qui développa avec lui non pas une simple relation de « maître à élève » comme le spécifiaient les journaux de l’époque, mais une véritable amitié.

Plus qu'une relation de "maître à élève". Stewart aux côtés de son défunt équipier François Cevert.

Cependant, la tragédie allait une dernière fois marquer le parcours du pilote écossais. En effet, à la veille de sa 100ème et dernière course, lors des qualifications du GP des États-Unis à Watkins Glenn, Cevert se tua après une sortie de piste très violente. Stewart, sous le choc, décida de tirer sa révérence le soir même sans prendre part à sa dernière course.

Durant de longues années, il culpabilisera de cet événement tragique, car Cevert s’annonçait comme un véritable virtuose, qui n’avait remporté qu’une seule victoire uniquement du fait de son statut de pilote numéro deux au sein de l’écurie Tyrrell. Voulant convaincre son employeur pour obtenir un statut d’équité avec Stewart en vue de la saison 1974, Cevert adopta un pilotage plus agressif, en tentant de se mettre constamment en valeur dans des actions scabreuses en piste. Stewart regretta ainsi de ne pas lui avoir annoncé son retrait de la F1 au terme de la saison, ce qui aurait pu éviter l’outrecuidance excessive du pilote français, et par extension sa mort.

Une retraite éphémère

Quoi qu’il en soit, Stewart aura su, tout au long de ses neufs années passées en F1, se dresser un palmarès édifiant, en inscrivant de nombreux records, avec ses 27 victoires (record qui ne sera battu qu’en 1987 par Alain Prost), ses 17 pole-positions et ses 15 meilleurs tours en course, et en créant un nouveau standard de pilote, plus consciencieux et moins frivole.

Barrichello finit à une superbe 2ème place au GP de Monaco 97, derrière Michael Schumacher. Ce sera la seule arrivée dans les points cette année-là.

Après s’être éloigné quelque peu de la F1, il revint sur les GP en qualité de commentateur et de consultant pour la télévision américaine notamment, et entreprit une fonction d’homme d’affaires en représentant de grandes compagnies liées à l’automobile, telles qu’Elf, Ford, ou bien encore des sponsors comme Rolex, tout en continuant son combat pour la sécurité en F1, dont les résultats devinrent enfin probants durant les années 80.

Mais la fièvre de la course continuait de sommeiller en lui, et il ne tarda pas à rejoindre son fils Paul, qui venait de créer PSR (Paul Stewart Racing) en 1988. Cette équipe s’illustra surtout dans la première moitié des années 90, en décrochant pas moins d’une dizaine de championnats et 107 victoires dans les formules de promotion anglaises, telles que la F3 et la F3000.

Étant donné l’hégémonie de l’équipe, c’est à juste titre que celle-ci fut remaniée en vue de son entrée en F1 en 1997, et fut rebaptisée Stewart GP. Pour la première saison de l’équipe, Jackie et Paul Stewart firent confiance à l’ingénieur Alan Jenkins, qui fut le premier à dessiner sa monoplace entièrement sur ordinateur. De fait, la SF-01 possédait une aérodynamique soignée. Mais la faiblesse du moteur Ford Zetec annihila tout espoir de compétitivité, l’écurie ne marquant que six points par l’intermédiaire de Rubens Barrichello, dans des conditions dantesques à Monaco.

La deuxième saison fut tout aussi difficile – malgré le nouveau V10 Ford à 72° – du fait d’une boite de vitesses avec carter en carbone censée être révolutionnaire, mais qui ne fut finalement que source de pépins mécaniques à répétition.

Stewart GP remporte le GP d'Europe 99. Ici, Jackie Stewart entouré de ses deux pilotes d'alors : Johnny Herbert (gauche) vainqueur, et Rubens Barrichello 3ème.

L’année 1999 s’annonçait enfin sous de meilleurs auspices, avec le recrutement du très expérimenté Johnny Herbert, et l’adoption d’une boite de vitesses bien plus performante et fiable que la précédente. De son côté, Ford s’impliqua un peu plus dans la vie de l’équipe, prenant le contrôle total de Cosworth et développant un nouveau moteur compact et puissant, le V10 CR-1 (issu du travail du nouveau département moteur Cosworth Racing). Après une saison qui fut ponctuée par une victoire d’Herbert sur le tracé du Nürburgring et par une 4ème place au championnat constructeur, la famille Stewart prouva qu’à une période où les petites écuries tendent à disparaitre au profit de l’arrivée de grands constructeurs, la bonne volonté d’une équipe soudée pouvait se révéler plus efficace que de grosses liasses de dollars posées sur la table.

Stewart reste très impliqué en F1 : il est représentant de RBS, et a son mot à dire à propos du GPDA, et de l'absence d'Hamilton au sein de cette association.

Mais malgré les progrès indéniables de son écurie, Stewart avait déjà signé auparavant le rachat de celle-ci à l’orée du nouveau millénaire par Ford, qui la renomma Jaguar Racing. Jackie Stewart reprit alors son petit train-train d’homme d’affaires, qui ne fut troublé que par son anoblissement par la reine d’Angleterre en 2001.

Il signa notamment un contrat avec RBS (Royal Bank of Scotland) qui perdure jusqu’en 2011, délaissant sa fonction de président du BRDC (British Racing Driver Club), gérant notamment le circuit de Silverstone, au profit d’un autre ancien champion du monde britannique : Damon Hill (fils de Graham). Il prit en outre la décision en Mars 2009, en raison de la crise économique qui sévit actuellement, de représenter « bénévolement » cette institution financière tout au long de l’année. A signaler aussi qu’il ne démord pas de son intérêt pour la sécurité en F1, ainsi que de la pérennité du GPDA, dénonçant entre autres l’absence de Lewis Hamilton au sein de cette association.

Ci-dessous le clip du single Supreme, de Robbie Williams, retraçant un duel fictif entre le chanteur et Jackie Stewart. Outre la musique, la vidéo vaut surtout pour ses images exclusives.