Pas plus que lors des trois dernières saisons la France n’accueillera de GP sur son territoire en 2012. Et les récentes déclarations du magnat de la F1 Bernie Ecclestone, qui estime que l’Europe ne représente plus un terrain d’avenir pour la F1, n’augure pas du meilleur concernant les chances d’un GP tricolore
Cependant, une lueur d’espoir a semblé percer ces derniers mois eu égard à la possibilité d’une alternance entre le GP de Belgique et le GP de France. Il est vrai que cette option s’avère séduisante dans un contexte de crise économique renforcée et de coupes budgétaires drastiques dans les dépenses publiques. Ce type d’organisation est d’ailleurs déjà en place pour ce qui est de la manche germanique du calendrier, qui voit le Nürburgring et Hockenheim se partager une année sur deux l’accueil du Formula One Circus. De même, un projet d’alternance est envisagé entre Valence et le circuit de Catalunya dans le cadre du GP d’Espagne. Alors, info ou intox ? Pour répondre à cette question, il convient de juger des forces et faiblesses du dossier, mais aussi de s’intéresser à la crédibilité des projets concurrents.
Le projet « Paul Ricard 2013 »
La nouvelle a satisfait tout le landerneau du sport automobile français : mardi 24 Janvier, le gouvernement de François Fillon (originaire de la Sarthe et grand amateur de sports mécaniques), par le biais de sa cellule « GP de France », a donné son feu vert pour l’organisation d’un GP de France sur le circuit Paul Ricard. ‘Les choses avancent de façon très concrète’, s’était déjà réjoui Gilles Dufeigneux, délégué interministériel aux grands événements sportifs auprès de Matignon, le 19 Décembre dernier. ‘Tous les indicateurs sont au vert…ou en passe de l’être. Nous sommes entrés dans la phase de finalisation et on peut dire que les décideurs trancheront très prochainement, courant Février’.
Le nouveau patron du circuit du Castellet, Stéphane Clair, qui auparavant officiait à la tête de la société NPO, spécialisée dans l’organisation de courses autos et motos, mais aussi dans l’événementiel et la production TV, est à l’initiative du projet «Paul Ricard 2013». Comme explicité plus haut, celui-ci devrait résider en une alternance avec le GP de Belgique, afin de réduire les coûts d’organisation (le tracé de Spa-Francorchamps se trouve lui aussi dans une situation financière critique). De fait, le circuit varois, qui a déjà accueilli à quatorze reprises le GP de France entre 1971 et 1990, organiserait la course une saison sur deux, les années impaires. La première édition pourrait avoir lieu dès 2013 et la date du 1er Septembre a d’ores et déjà été avancée (ce qui laisse supposer que l’événement serait couplé avec la manche française des World Series by Renault 3.5, qui se déroule généralement à cette période). Le projet prévoit un premier contrat courant jusqu’en 2021. L’objectif avoué n’est pas simplement de se contenter de la tenue d’un GP en France, mais de valoriser les ressources et l’emploi local, en générant pas moins de 230 postes à temps plein grâce à la création d’un « salon de l’automobile du futur », où le savoir-faire français en matière de développement durable et de sécurité routière serait mis en valeur toute l’année.
Pour ce qui est du nerf de la guerre, le budget, le défi principal est bien sûr de répondre aux exigences pécuniaires qu’implique la réception d’une course du championnat du monde de F1. En effet, on estime que le coût de l’organisation d’un tel événement se chiffrerait à l’heure actuelle à 30 millions d’euros par édition, dont 20 millions en droits d’organisation reversés à la FOM (Formula One Management). Si on reprend l’hypothèse d’un contrat allant de 2013 à 2021, avec un GP organisé tous les deux ans, cela signifie qu’il faudra trouver environ 150 millions d’euros pour espérer remplir le contrat jusqu’à son terme.
Une chimère ?
Ici réside le premier obstacle à la crédibilité d’un GP au Paul Ricard. Effectivement, la solution retenue consiste en un financement via un GIP (Groupement d’Intérêt Public). Or, selon certaines sources, le montant récolté jusqu’à présent par cette entité ne dépasserait pas 5 millions d’euros… En outre, si le sport automobile français et le gouvernement actuel s’enorgueillissent du possible retour de la F1 en France, rien n’a filtré en revanche du côté de la Belgique – ni du côté d’Ecclestone d’ailleurs – où toutes ces informations n’ont aucunement été corroborées. On peut dès lors se poser la question de la possibilité d’un effet d’annonce de la part du gouvernement en poste, visant à ménager la chèvre et le chou en vu des élections présidentielles françaises du printemps 2012.
Car c’est là l’autre point noir qui porte atteinte à la crédibilité d’une décision positive et rapide du gouvernement en faveur du Castellet, comme de tout autre circuit en France d’ailleurs : l’immobilisme général des politiques à l’orée de la prochaine échéance électorale. Comment envisager que le gouvernement de François Fillon, malgré toute sa bonne volonté, donne son aval à l’heure où la dette publique est un sujet récurrent dans les débats? Cela priverait à coup sûr la majorité au pouvoir des voix des personnes sensibles à l’écologie, et donnerait le flanc à la critique, qui ne tarderait pas à dénoncer une recrudescence des dépenses en faveur de « frivolités » sportives. A cela s’ajoute un planning peu commode, avec le pré-calendrier F1 qui doit être publié en Juin 2012, alors que les élections législatives battront leur plein (10 et 17 Juin). De quoi renforcer encore plus le statu quo.
Enfin, le troisième et dernier handicap du Castellet réside dans la nécessité d’entamer des travaux de réfection pour rendre les infrastructures présentables au regard des standards de la F1. Nous quittons ici la dimension conjoncturelle remettant en cause l’organisation d’un GP dans le Var pour des raisons plus structurelles. En effet, le complexe du Paul Ricard, qui appartient à l’ex-femme de Bernie Ecclestone, Slavica, par le biais de la société qui gère les droits audiovisuels et les revenus commerciaux de la F1 : SLEC Holdings (SLavica ECclestone), détient des infrastructures obsolètes tant au niveau de la capacité de ses tribunes que des moyens d’accès au circuit. Sa situation est pire encore que celle de Magny-Cours, dont on a pointé du doigt durant des années le fait qu’il soit très mal desservi et qu’il dispose de moyens d’accueil assez rustres. Cherchez la logique…
Retour à la case départ : la solution Magny-Cours
Cela nous amène donc à étudier le cas de Magny-Cours. Ces dernières années, le tracé nivernais a fait de gros efforts pour améliorer son accessibilité, en raccordant la toute nouvelle portion de l’autoroute A77 au circuit via une bretelle directe flambant neuve. On ne peut penser que tous ces travaux n’aient été effectués pour un autre dessein que d’encourager le retour de la F1 à Magny-Cours. Car le dernier circuit français à avoir accueilli le pinacle du sport automobile regorge de nombreux atouts dont le Paul Ricard ne peut se targuer.
Tout d’abord, sa situation géographique, en plein centre de la France, à trois heures seulement de Paris et de Lyon, alors que le Castellet est localisé au bord de la Méditerranée et pourrait décourager la venue des spectateurs provenant du nord de l’Europe. Par ailleurs, un nouvel arrêt de la ligne de TGV Paris-Lyon est en cours d’analyse, et serait situé ni plus ni moins à quelques kilomètres à l’Ouest de Magny-Cours. De quoi faciliter grandement l’accès au circuit.
Qui plus est, beaucoup de changements ont eu lieu ces deux dernières années dans la Nièvre. Au premier rang desquelles le remaniement de la composition de la direction du complexe de Nevers Magny-Cours, qui a vu Serge Saulnier et Gilles Alegoet nommés à la présidence de son directoire par le Conseil de Surveillance et d’Orientation du circuit et par le Conseil Général de la Nièvre, en Février 2010. Guy Ligier a quant à lui fait son entrée en tant qu’actionnaire privé dans la SEM (Société d’Economie Mixte) du circuit, à hauteur de 33%. A la même époque, lors d’un entretien accordé au magazine F1 Racing, Saulnier, qui connait bien Magny-Cours pour y avoir œuvré dès 1972 comme assistant-mécanicien de Jacques Laffite, et qui a par la suite exercé le rôle de directeur sportif/team manager du programme Endurance Peugeot 911, de Septembre 2006 à Février 2010, semblait pourtant pessimiste : ‘Je pense que l’organisation d’un GP de France à Magny-Cours n’est pas une priorité’. Il est vrai que sa nomination semblait plutôt répondre à la nécessité pour le tracé de renouer avec un équilibre financier et économique.
Cependant, le nouveau président ne jetait pas un voile pudique sur les qualités du complexe nivernais, expliquant que le circuit ne nécessitait aucun nouvel aménagement et disposait des structures adaptées pour recevoir la F1, comme en témoigne le fait qu’il soit toujours homologué (le circuit a conservé sa licence F1). Qui plus est, des travaux de rénovation consistant en l’élargissement de la pitlane ont été réalisés en 2009 afin de correspondre aux nouvelles normes FIA édictées par Charlie Whiting. Au final, Serge Saulnier déclarait que ‘si on veut retrouver un GP de France, Magny-Cours devient incontournable’, et en profitait pour tirer un trait sur l’éventualité d’un GP organisé en Ile-de-France, ‘inopportun d’un point de vue écologique, politique et financier’. De fait, Magny-Cours détiendrait l’avantage décisif de ne pas nécessiter d’investissements conséquents pour accueillir un GP. ‘Nous pouvons superviser l’événement dès 2012 si le besoin s’en fait sentir’ avait alors assuré Saulnier. Ce point représente un aspect non-négligeable, à l’heure où les collectivités locales rencontrent de grandes difficultés à boucler leurs budgets, en raison de la crise mais aussi de nouvelles charges qui leurs incombent telles que l’allocation pour les personnes âgées ou bien encore le financement du RSA (Revenu de Solidarité Active).
Au final, le circuit se doit surtout de trouver un promoteur afin de sponsoriser le GP. A la rédaction de Radio Paddock, nous pensons que la FFSA (Fédération Française du Sport Automobile), qui était déjà le promoteur du GP dans les années 2000 avant son retrait en 2008, pourrait représenter la meilleure option. Cette opinion est renforcée par le fait que le plateau F1 comportera pas moins de trois Français en 2012 (Romain Grosjean, Jean-Eric Vergne et Charles Pic, avec Jules Bianchi ainsi que Nathanaël Berthon dans les tuyaux pour les prochaines saisons), tous membres de l’Equipe de France FFSA Circuit…ce qui pourrait constituer une magnifique publicité pour la Fédération.
Enfin, le circuit de Magny-Cours n’est pas en reste en ce qui concerne la création d’une « vallée de l’automobile ». En effet, Patrice Joly, président du Conseil Général de la Nièvre envisage la création d’un complexe dédié aux transports et à la mobilité, qui pourrait attirer entre 350 et 400 000 visiteurs par an, pour un coût de construction de 60 millions d’euros. Magny-Cours est déjà le foyer du nouveau constructeur automobile français Exagon, qui vient d’y implanter une usine pour la fabrication de sa voiture électrique très haut de gamme : la Furtive-eGT (qui sera mise en vente en Octobre 2012, juste après sa présentation au Mondial de l’Automobile). En cette période où le « made in France » a le vent en poupe, cette décision est une véritable aubaine pour le circuit qui pourra s’appuyer sur son image de porte-étendard de l’industrie automobile française. Cette vallée de l’automobile aura aussi pour objectif d’améliorer la capacité hôtelière autour du tracé, point faible historique de Magny-Cours.
Conclusion
La rédaction de Radio Paddock estime que l’organisation d’un GP de France au Paul Ricard est finalement peu probable, et que les récentes tractations constituent surtout des effets d’annonce en vue des élections présidentielles, et relèvent plus d’une spécificité franco-française qui consiste à monter en épingle toute décision (ou plutôt promesse) qui n’engage finalement que le gouvernement qui la fait, mais certainement pas la direction du circuit de Spa-Francorchamps et encore moins Bernie Ecclestone. Le projet « Paul Ricard 2013 » contient trop d’inconvénients et est soumis à trop d’aléas pour être crédible. La faiblesse de la somme rassemblée par le GIP, la situation budgétaire catastrophique des collectivités locales, la nécessité d’entreprendre d’importants travaux de rénovation, ajoutés à cela le mauvais timing dû aux élections présidentielles et la concurrence accrue de Magny-Cours, mieux situé et demandant moins d’investissements, et vous comprendrez que ce dossier parait voué à l’échec.
Preuve que Magny-Cours conserve toutes ses chances pour remporter « l’appel d’offre » du gouvernement : une délégation nivernaise, composée de Gaëtan Gorce, sénateur de la Nièvre, Jean-Pierre Rossignol, président de la CCI de ce même département, ainsi que de Patrice Joly, Serge Saulnier et Guy Ligier, était la semaine dernière en déplacement à Matignon, alors que le ministre des Sports, David Douillet, devait rencontrer Bernie Ecclestone le 30 Janvier.
Quoi qu’il en soit, le modèle économique de l’alternance entre deux GP francophones représente la meilleure alternative pour espérer revoir un jour la F1 dans l’hexagone. Mais la date du retour du GP de France devrait davantage s’approcher de 2014 que de 2013 (en raison de l’incohérence de dates entre les élections présidentielles/législatives et la publication de la première version du prochain calendrier F1), et devrait plutôt concerner une alternance Spa/Magny-Cours qu’une alternance Spa/Paul Ricard. Bref, laisser assez de temps pour laisser place à maintes rumeurs. Le sport automobile français s’en contente après tout depuis déjà trois ans…