Ce weekend, Michael Schumacher fera ses seconds adieux à la F1, pour de bon cette fois. L’occasion de revenir sur une interview qu’il avait accordé au magazine F1 Racing il y a maintenant un peu plus de deux mois, alors que l’annonce de sa retraite définitive n’avait pas encore eu lieu, et où il se prêta au jeu de la rubrique « Vous Posez Les Questions », où des lecteurs lambda ont la possibilité de questionner des personnalités de la F1. Cette interview fut sans doute et contre toutes attentes l’une des plus franches et directes qu’il ait pu accorder jusqu’ici. Le pilote allemand pressentait-il que la fin de sa carrière était imminente (Mercedes n’a pas eu la délicatesse de lui annoncer son remplacement par Hamilton pour 2013 avant la publication du communiqué de presse) ? Ou avait-il senti que sa liberté d’expression était moins restreinte du fait que les questions n’étaient pas posées par des journalistes du milieu mais par des fans ? Toujours est-il qu’il en résulta un entretien décalé et sans concessions, et instructive a posteriori de l’annonce de son retrait de la F1.
Sur ces deux dernières décennies de F1, on peut considérer qu’au moins la moitié n’a connu la domination quasi sans partage que d’un seul homme. Et même quand il ne se battait pas pour le titre, celui-ci était toujours considéré comme le pilote à battre. Qu’il s’agisse d’une course déterminante pour le titre ou bien de polémiques faisant les gros titres, tout le monde connait son nom : Michael Schumacher.
Quelle que soit votre opinion sur cette outrageuse hégémonie, sur les atermoiements de son retour, les chiffres restent étourdissants : 7 titres, 68 pole positions, 91 victoires. Ces statistiques jettent un voile sur tous les autres pilotes de l’histoire de ce sport.
Nous nous sommes donc demandés comment Michael réagirait si on lui remémorait “l’affaire de la Rascasse”, si on évoquait l’hypothèse d’un départ forcé de chez Ferrari, ou bien encore ses souvenirs d’Ayrton Senna. Mais au final il ne semble pas trop embarrassé. Le Michael inflexible, sans pitié des années Ferrari s’est adouci. A présent il est plus détendu et sait apprécier les bons moments – les 300 GP et les 21 années passées à voyager à travers le monde y sont sans doute pour quelque chose.
Sur les quelques 2000 questions que vous nous avez envoyées, traitant des débuts de Michael jusqu’à son passage à Maranello, nous lui avons posé les plus intéressantes, et il est l’heure maintenant d’écouter ses réponses.
Qu’est-ce que vous ressentez lorsque des gamins vous doublent sur la piste ?
Frederik Gasoi, Canada
Ça m’est égal. Lorsque je suis dans l’auto, peu importe l’âge de mes adversaires. Ce que je veux juste c’est passer le gars qui est devant moi – ou à l’inverse rester devant lui. C’est ça le truc.
Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce qui s’est passé au bar de l’hôtel du circuit de Suzuka, le ‘Log Cabin’, la nuit suivant votre titre de champion du monde en 2000 ?
Ashley Mason, Royaume-Uni
Vous devez confondre avec mon frère…
Quelle était votre idole lorsque vous étiez petit ?
Caroline Riley-Smith, Royaume-Uni
Au début ce fut Vincenzo Sospiri en karting. Puis Ayrton Senna. Ces deux gars m’ont beaucoup inspiré quand je faisais du kart.
Quel est le facteur à améliorer pour permettre à Mercedes d’être aux avant-postes de façon régulière ?
Pamela Lowth, Royaume-Uni
A l’heure actuelle, il n’y a pas qu’un seul facteur sur lequel agir. Il s’agit plutôt d’une mosaïque où toutes les pièces doivent imbriquées. Nous ne sommes plus loin du compte, mais il faut assembler les derniers éléments.
Vouliez-vous vraiment donner un coup de poing à David Coulthard après votre collision à Spa en 1998 ?
Karel Belohuby, République Tchèque
Euh…je n’ai jamais été bagarreur pour être honnête. En fait, je n’ai jamais frappé personne, mais sur le coup je voulais lui faire prendre conscience de son acte.
Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné et en quoi consistait-il ?
Lee Frary, Royaume-Uni
‘Réfléchir avant d’agir’. C’est un ami proche, qui a maintenant dans les 80 ans et qui a vécu beaucoup de choses, qui m’avait donné ce conseil. Il est valable dans toutes les situations de la vie – il signifie que quel que soit ce que vous voulez faire, vous devez bien en envisager les conséquences.
Quel est votre meilleur souvenir d’Ayrton Senna ?
Montero Moises, Espagne
Facile. C’est le Brésil en 1994, où je l’ai battu après qu’il ait fait un tête-à-queue quand on se battait pour la tête. D’une certaine manière, le fait qu’il perde le contrôle m’a rendu très fier du fait de son tempérament de vainqueur. Il faut dire qu’on revenait de nulle part aussi – en 1994 notre petite Benetton, munie d’un moteur Ford, n’était pas supposée jouer les premiers rôles, mais c’était en réalité un excellent ensemble, et nous étions capable de ferrailler avec les Williams. Lorsqu’il est sorti, je me suis dit : ‘C’est bon signe’.
Avez-vous déjà été verbalisé sur la route et si oui, quelle a été votre réaction ?
Gary Gillies, Royaume-Uni
Oui je l’ai déjà été. Malheureusement on ne m’a pas fait sauter ma prune…
Quelle qualité appréciez-vous le plus chez un pilote ?
Jacob Cook, Etats-Unis
Peut-être qu’il soit allemand…
L’idée de monter votre propre équipe vous a-t-elle déjà traversée l’esprit ?
Clare Dobson, Royaume-Uni
Non, jamais.
De toute votre carrière de pilote, du karting à la F1, quel a été votre plus féroce adversaire ?
Paul Mariano, Etats-Unis
Le plus féroce ? Vous voulez dire le plus coriace ? Sans hésitations Mika Häkkinen.
Quelle musique écoutez-vous ?
Carina Gusevska, Lettonie
Paolo Nutini.
Avec si peu de points marqués comparé à votre équipier, comment faites-vous pour rester calme ?
Kadir Gunes, Turquie
Je reste calme justement parce que je n’ai pas inscrit beaucoup de points… j’ai subi tant de casses mécaniques qu’honnêtement je ne me soucis par de cela – ça fait partie du jeu. Je fais confiance aux gars dans l’équipe et vis-versa. C’est ce qui m’importe le plus.
Je pars visiter Monaco durant mes vacances. Une idée du meilleur endroit où se garer ?
Graham Scott, Royaume-Uni
Eh bien, il y a plein de parkings sous-terrain en Principauté…
F1 Racing : La Rascasse non ?
En contemplant votre carrière F1 jusqu’ici, avez-vous des regrets ?
Charles Russell, Irlande
Oui : Jerez 1997.
Si Ferrari vous faisait une proposition, seriez-vous partant ?
Mark Durepos, Etats-Unis
Pourquoi ?
Devez-vous vous entrainer plus durement et plus longtemps pour rester en forme à présent ?
Don Molyneux, Etats-Unis
Je m’entraine autant qu’avant. J’ai toujours apprécié être affuté, et je l’ai été parfois plus que nécessaire. Les F1 sont plus lentes maintenant et requièrent moins d’efforts, il est donc facile d’être en bonnes conditions pour ces voitures. J’ai adapté mon régime et je recherche toujours de nouvelles choses à faire. Je pourrais vous raconter tout mon petit train-train, mais vous ne pourriez pas tout enregistrer !
Y-a-t-il quelque chose qui vous irrite en F1 aujourd’hui ?
Michael Bobroy, Russia
L’or noir.
F1 Racing : Euh… vous pouvez préciser votre pensée ?
Je vous laisse y réfléchir.
Est-il vrai que quand vous étiez jeune votre père a modifié la pédale de votre kart en mettant un vieux moteur de moto dessus ? Et est-il vrai aussi que quand vous aviez quatre ans, vous vous êtes pris un réverbère avec ?
Rhys Hardstaff, Nouvelle-Zélande
Vous êtes bien informé. C’est comme ça que tout a commencé.
En moyenne, combien de cigares fumez-vous par mois ?
Kaspar Kutt, Estonie
Je ne compte plus…en moyenne un peu moins d’un cigare.
Durant une épreuve, votre esprit est-il concentré à 100% sur la course, ou vous arrive-t-il parfois de vous demander ce que vous allez faire à diner ?
Juha Makarainen, Finlande
Il m’arrive de penser à autre chose. Quand vous dévalez une ligne droite à Monza, vous avez pas mal de temps pour laisser votre esprit vagabonder, sur des détails relatifs à l’auto ou parfois des choses complètement différentes. Ça n’arrive pas en qualif’ ou dans un moment chaud, mais ça peut arriver lorsque vous enchainez les tours.
Est-il moins facile de se remettre de l’ivresse de la victoire quand on est jeune ?
Patricia Hussey, Royaume-Uni
Je ne pense pas que ça ait un lien avec l’âge. C’est simplement liée à vos réussites, et dès que vous accomplissez quelque chose, vous vous reconcentrez de suite sur un autre objectif. Ça peut commencer par une victoire, puis un championnat.
Il m’a semblé qu’en 2006 Ferrari vous avait poussé vers la sortie alors que vous ne vouliez pas réellement vous retirer. Est-ce vrai ?
Don Diklich, Etats-Unis
Non, à 200%. Lors d’une traditionnelle soirée de Noël organisée par Ferrari j’ai dit à Mr di Montezemolo sur la scène que je voulais me retirer et il m’a répondu : ‘Repense-y. Tu peux avoir un contrat à vie ici. Tout ce que tu voudras tu l’auras, nous voulons que tu restes’. Ça peut sembler être une coïncidence mais j’ai eu un tchat pas plus tard qu’hier avec lui et nous entretenons toujours de bonnes relations. Mais j’avais décidé de me retirer et c’est ce que je voulais à l’époque. Comme je l’ai dit, j’étais juste lessivé. Je n’avais plus de ressources et plus rien à prouver, et j’avais mon « petit frère » – comprenez Felipe Massa – j’étais content pour lui qu’il reprenne le flambeau.
Quels seront vos prochains défis dans votre vie ?
David Herron, Royaume-Uni
Je ne pense pas avoir d’autres défis dont je puisse parler.
Etes-vous nostalgique de Maranello ?
Annie Hughes, Royaume-Uni
Je le suis. J’y vais occasionnellement pour voir Rossella, qui dirige le restaurant Montana ; on se parle assez souvent dans la semaine, elle m’appelle, et on a un contact régulier – pas autant qu’avant, mais elle reste dans mon cœur. Stefano Domenicali est aussi un bon ami à moi, et on traine souvent ensemble. Le meilleur plat de Rossella ? Les tagliatelles.
Quelle boisson commanderiez-vous si vous étiez avec Kimi ?
Richard Andrews, Nouvelle-Zélande
De l’Apfelschorle, du jus de pomme avec de l’eau gazeuse.
Combien de temps comptez-vous encore rester en F1, et que voulez-vous faire par la suite ?
Rustam Sagitov, Russie
Eh bien, j’ai bien peur que je ne puisse vous répondre à ce stade de la saison.
Quel a été votre plus beau dépassement en F1 ?
Roger Clarke, Royaume-Uni
Il y en a eu tellement… Je ne peux pas m’en rappeler d’un en particulier tout de suite. Il y a bien eu cette passe d’armes dont les gens se souviennent, celle avec Mika Häkkinen lorsqu’il m’a dépassé à Spa en laissant Ricardo Zonta entre nous deux. Mais réfléchissez-y : qu’est-ce que je pouvais faire ? J’avais un retardataire au milieu de la piste et je devais choisir un côté par lequel passer. Mika a bien entendu pris l’autre côté et a profité du surplus de vitesse pour me passer. C’était bien joué de sa part… J’ai vécu la même chose avec Felipe et Kamui à Montréal l’année dernière, lorsque je leur ai fait l’intérieur et que je les ai passés tous les deux en même temps. Les gens pensent que c’est une action géniale, mais en réalité c’est assez facile à faire. Deux gars bataillent et se gênent mutuellement et je suis le troisième larron qui en profite. Ça a de la gueule, mais ça n’a rien d’extraordinaire quand on y pense. Il y a des instants de course beaucoup plus intenses – des moments sur lesquels il faudrait s’attarder davantage de mon point de vue.
Qu’avez-vous ressenti lorsque Jacques Villeneuve vous a fait l’extérieur dans le dernier virage à Estoril en 1996 ?
Steve Bather, Royaume-Uni
C’est uniquement parce que j’avais ralenti pour le gêner que j’ai compromis ma sortie de virage. Il a sauté sur l’occasion pour me faire l’extérieur. Dites-vous bien qu’avec sa voiture il disposait de bien plus d’adhérence pour pouvoir faire ça…
Pourquoi continuez-vous à vous plaindre des pneus – est-ce parce que vous étiez habitué à avoir des enveloppes qui correspondent mieux à votre style pilotage ?
David Greenwell, Royaume-Uni
Je vais faire simple. Si vous avez un manufacturier unique, alors celui-ci se doit de fabriquer un pneu qui convienne à la majorité du plateau. Et c’est ce que j’ai voulu exprimer. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. Nous avons des gommes qui ne fonctionnent que pour une petite frange de pilotes et non pour la majorité, ce qui ne devrait pas se produire. Ce devrait être l’inverse en fait.
Michael, souffrez-vous toujours du mal des simulateurs ?
Matt James, Royaume-Uni
Je n’en ai pas essayé récemment, je n’en ai pas eu l’occasion.
Si Bernie Ecclestone vous accordait trois vœux : quels seraient-ils ?
Mertol Shanin, Bulgarie
Je ne crois pas que Bernie m’offrira un truc un jour…J’ai une belle famille, je suis heureux, l’argent n’est pas un problème…Rien ne me vient à l’esprit, excepté peut-être qu’on me fournisse plus d’accréditations dans les paddocks.
Lequel de vos sept titres a-t-il eu la meilleure saveur pour vous ?
Définitivement celui que j’ai remporté en 2000. Après 21 années d’insuccès pour Ferrari et de mon côté 5 ans passés à lutter pour le titre avec la Scuderia, c’était un véritable aboutissement pour moi et pour toute l’équipe.
F1 Racing n°165, Novembre 2012